Dans le cadre du projet Archipelagos, porté par ATLAS et co-financé par le programme Europe Créative de l’Union européenne, la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur et La Sofia, Marta Santamaría Domínguez a recherché des voix inédites des femmes poètes francophones de la Résistance, à traduire vers le galicien.
Découvrez sa démarche d’exploration à travers ce texte écrit lors de sa résidence au CITL, en août 2024.
Résistantes à jamais
Lors de la bourse d’exploration Archipelagos au CITL (du 24 au 31 août 2024), j’ai développé un projet qui envisage la découverte des voix inédites de femmes poètes francophones de la Résistance et leur traduction dans la langue galicienne. Poésie et résistance : deux univers qui partagent depuis toujours des constellations scintillantes. Parce que si, d’après Paul Éluard, la résistance est inhérente à la poésie, il n’en est pas moins vrai que dans tout acte de résistance il y a un idéal à atteindre, un idéal qui devient réalité dans la poésie, qui est libre, universelle, démocratique.
L’occupation de la France par les nazis pendant la Seconde guerre mondiale a commencé en juin 1940 et s’est achevée en juin-août 1944. Pendant ces quatre années, nombreuses résistantes ont été déportées aux camps de concentration nazis, notamment à Ravensbrück, le seul camp réservé aux femmes. Plus de 130 000 femmes y ont été déportées, plus de 90 000 y ont été assassinées.
Concernant le projet d’exploration, on a repéré une trentaine d’autrices. D’une part, il y a des poèmes écrits aux camps qui deviennent parfois la seule trace de certaines carrières littéraires qui ont été brutalement éteintes à peine commencées. D’autre part, il y a de nombreux poèmes écrits après la libération des camps, souvent longtemps après, le trauma imposant le silence. Pourtant, toutes les rescapées témoignent une solidarité exceptionnelle aux camps : enseignement et apprentissage secrets, activités culturels, fabrication de petits cadeaux, vie politique, actions conjointes pour l’autodéfense, célébration d’anniversaires. Et c’est bien grâce à cet esprit de groupe qu’elles ont pu survivre.
Dans tout acte de résistance il y a un idéal à atteindre, un idéal qui devient réalité dans la poésie, qui est libre, universelle, démocratique.
Charlotte Delbo (1913-1985) est l’une des 49 rescapées du seul convoi de résistantes à destination du camp d’Auschwitz-Birkenau au lieu de Ravensbrück. Il s’agit du convoi du 24 janvier 1943, dit « convoi des 31 000 », qui transporte 230 femmes, dont la plupart résistantes, dans le cadre de l’opération « Nuit et Brouillard ». La fraternité de ce groupe fait l’Histoire : ces femmes franchissent l’entrée d’Auschwitz en chantant La Marseillaise. En janvier 1944, Charlotte Delbo est transférée au camp de Ravensbrück, où elle obtient un exemplaire du Misanthrope de Molière et l’apprend par cœur pour se le réciter pendant les appels interminables. Libérée en avril 1945, après vingt-sept mois de captivité, elle commence à écrire en 1946.
L’ouvrage retenu lors de la recherche, Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants et autres poèmes (Les Éditions de Minuit, 2024), recueille pour la première fois toute la poésie de Charlotte Delbo. Composante essentielle de son écriture, la poésie devient un élément parfaitement intégré dans sa production en prose ; un élément qui confère de la structure, du rythme et de la musicalité. Ainsi, la plupart des textes poétiques du recueil font partie de la trilogie Auschwitz et après (Aucun de nous ne reviendra, Une connaissance inutile et Mesure de nos jours) et de l’ouvrage La mémoire et les jours. Mais il y a aussi d’autres textes littéraires : un poème, publié originalement dans la revue Poésie 47 (numéro 36) en 1946 ; et dix poèmes inédits, issus des archives de la Bibliothèque Nationale de France.
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L’œuvre de Charlotte Delbo symbolise (…) un appel impérieux à la préservation de notre mémoire collective.
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La déportation, Auschwitz et le retour constituent les principaux thèmes abordés, mais il y a aussi des poèmes sur Georges Dudach (son mari, résistant fusillé par les nazis en 1942), et sur des drames politiques déroulés en Espagne, en Grèce, en Pologne, en Argentine et en URSS. En ce qui concerne la traduction de cet ouvrage, l’enjeu majeur réside dans la recréation de la tonalité du texte. À travers un style sobre, profonde et vivement expressif, Charlotte Delbo distille les horreurs innommables d’une période qui est plus proche que l’on ne le croit.
Considérée par Michael Rothberg comme l’une des voix « les plus implacables aux camps nazis publiées dans quelque langue que ce soit », l’œuvre de Charlotte Delbo symbolise, sans doute, un appel impérieux à la préservation de notre mémoire collective. Une mémoire collective qui risque de tomber dans l’oubli. Mais voilà que la résistance persiste, parce que toutes les résistantes sont des résistantes à jamais.
Retrouvez le portfolio de Marta, et le fruit de ses recherches, sur archipelagos-eu.org/translators/
À propos d’Archipelagos
Archipelagos est un projet triennal lancé en janvier 2024, co-financé par le programme Europe Créative de l’Union européenne et, en France, par La Sofia et la Région Sud. Porté par ATLAS, en collaboration avec 11 partenaires, il a pour objectif de mettre en lumière, auprès des lecteurs et des professionnels du livre, la diversité des voix littéraires d’Europe et le travail d’exploration mené par les traducteur.rices littéraires.
archipelagos-eu.org

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