1er septembre, le temps des marronniers. Dans la presse et dans les cours d’école (du moins là où il n’y pas de platanes), on repart pour un tour. 1er septembre, 75e anniversaire de l’invasion de la Pologne par l’armée allemande.
Des Assises se préparent où il sera question de la guerre, du rôle que les traducteurs y jouent, de l’enjeu qu’ils représentent pour les belligérants, mais aussi pour le camp de la paix. Il y sera question de ce que l’on écrit et de ce que l’on traduit pendant qu’on est en guerre, de ce que l’on écrit après, pour essayer de dire l’indicible, de comprendre, ou même de continuer à vivre.
En 2014, un habitant lambda d’Europe occidentale, qui n’est ni âgé de plus de 69 ans, ni réfugié, n’a jamais connu la guerre chez lui. Il sait qu’elle n’a jamais cessé ; que le jour où, en aucun point du globe, il n’y aura la guerre est loin d’être venu, et qu’il faut une forte dose d’optimisme pour imaginer qu’un tel jour viendra. Il voit la guerre à travers ce que filment, disent et écrivent les journalistes pris dans l’immédiateté de l’information. Si le sujet ne le rebute pas trop, il peut tenter de la comprendre à travers ce qu’écrivent les témoins, les écrivains, avec plus ou moins de recul. 69 ans de paix sur notre sol est, au regard de l’histoire, une situation parfaitement exceptionnelle, et l’on sait bien que cela n’a été possible qu’au prix de l’exportation des guerres sur d’autres territoires, loin de chez nous. En Afrique, notamment, où la décolonisation a laissé place à la Françafrique et à ses équivalents américains et aujourd’hui chinois.
Dans la presse, l’Afrique est soudain perçue en 2014 comme un nouvel Eldorado économique, les décennies de pessimisme lié aux coups d’État et aux guerres ont soudain fait place à des prévisions de croissance qui rivalisent d’optimisme. Alors, derrière ces lieux communs, à quoi ressemble l’Afrique, vue par les écrivains ? Qu’écrivent ceux qui aujourd’hui écrivent sur l’Afrique, depuis Abidjan, Accra ou Arles ?
En septembre et octobre, nous invitons trois d’entre eux.
Venu d’Abidjan, Gauz a vécu et travaillé à Paris, « dans la sécurité » (travaillé dans la sécurité, oui, vécu, c’est moins sûr). Dans son premier roman, Debout-Payé, il raconte avec un humour tonique son expérience de vigile, un temps sans-papier à Paris. Il entrelace cette expérience avec l’histoire politique d’un immigré ivoirien et l’évolution du métier de vigile, depuis les années 1960 jusqu’à l’après 11-Septembre. Posté en vigie du monde marchand contemporain, Gauz parsème son récit de choses vues et entendues au Séphora des Champs-Elysées, donnant une vision engagée et drolatique du monde merveilleux de Liliane et Bernard (Arnault-Bettencourt). Quelle meilleure date pour recevoir cette Voix à traduire #17 que le 11 septembre ?
Nii Ayikwei Parkes vit à Accra et à Londres. Performer, il est poète du spoken word. Son premier roman, Notre quelque part, a été traduit par Sika Fakambi, qui réside au CITL. Sa traduction, riche de ses origines béninoises, rend parfaitement l’alliage d’anglais soutenu et de langue populaire de Parkes, au point de nous faire croire très vite que nous entendons le parler ghanéen. Unanimement saluée, elle a déjà reçu en 2014 le prix Baudelaire, le prix Laure-Bataillon, et l’ouvrage a reçu le prix Mahogany. Parkes nous entraîne dans un polar de brousse, qui est cependant bien davantage qu’un polar, où l’Afrique de la ville, avec ses potentats, ses hiérarchies, sa corruption, son regard perpétuellement tourné vers l’Europe, est confrontée à l’Afrique des villages, avec ses fétiches et ses secrets, ses parfums et sa pourriture. Nii Ayikwei Parkes et Sika Fakambi seront notre Passage de l’étranger #18 le 25 septembre.
Enfin, Sylvain Prudhomme, aujourd’hui arlésien mais ayant longuement vécu en Afrique, nous livre avec Les Grands, un livre d’une superbe sensualité, où il n’hésite pas à mêler son approche documentaire du réel, dont les personnages sont pour la plupart des musiciens réels du fameux groupe guinéen Mama Djombo, à une approche plus fictionnelle, avec un fil narratif qui conduit certains protagonistes à organiser un concert en mémoire de la défunte chanteuse du groupe, véritable idole nationale, et d’autres, le même soir, un énième coup d’État, à la veille du second tour des élections. Au-dessus de l’éternelle déception politique flotte le parfum de l’agneau grillé, l’ombre des fromagers et la volupté de la démarche des femmes guinéennes. Une Voix à traduire #18 aura lieu le 7 octobre.
Mais les nouvelles que nous prendrons du monde cet automne ne se limiteront pas à l’Afrique. Le 2 septembre, commence un atelier français-chinois de la Fabrique des traducteurs. Les traducteurs sélectionnés apportent leurs projets de traduction de textes chinois inédits en France, et les feront connaître lors des Assises au cours d’une lecture qui aura lieu à la Fondation Vincent van Gogh.
En marge de cette formation, nous recevrons le 20 septembre, Mo Yan, prix Nobel de littérature 2012, et Sylvie Gentil, à l’occasion de la sortie du Clan du sorgho rouge, le 18 septembre. La rencontre (Passage de l’étranger #17) sera animée par Yinde Zhang, qui sera également l’un des tuteurs de l’atelier français-chinois avec Sylvie Gentil, et dont l’essai intitulé Mo Yan, le lieu de la fiction sort le même jour.
Autant d’occasions d’éprouver la capacité de la littérature à nous donner des nouvelles de nous-mêmes en nous donnant des nouvelles du monde.
Jörn Cambreleng