Le travail se poursuit au Collège international des traducteurs littéraires
Après une résidence au Literarisches Colloquium Berlin (LCB), les dix jeunes traducteurs du programme Georges-Arthur Goldschmidt 2015 sont arrivés lundi 16 mars 2015 au CITL, ainsi que leur tutrice, Yasmin Hoffmann. Durant ce séjour de trois semaines, ils poursuivent la traduction des textes qu’ils ont choisis et préparent la lecture publique qu’ils donneront à la bibliothèque du Gœthe-Institut de Paris, le 20 avril prochain.
Yasmin HOFFMANN
Née en 1956 en Allemagne, Yasmin Hoffmann a fait ses études au Canada et en France, et travaille comme traductrice littéraire depuis 1985. Elle a traduit de l’allemand vers le français Alfred Döblin, Elfriede Jelinek et Christa Wolf, entre autres. Elle est par ailleurs professeure de littérature allemande contemporaine, à l’Université de Montpellier.
Les traducteurs nous présentent les livres qu’ils ont choisis :
Vers l’allemand :
Dans Grand nu orange, Nathalie Chaix esquisse l’histoire d’amour entre Nicolas de Staël et sa dernière muse, Jeanne, en mêlant les perspectives des deux protagonistes. De brefs chapitres en vers libres composés par Jeanne à la première personne alternent avec des récits fragmentaires retraçant les deux dernières années de la vie du peintre. Ces textes à la troisième personne font pénétrer le lecteur dans l’intimité de l’homme et de l’artiste au moyen d’une langue à la fois elliptique et lyrique.
C’est à la suite de la mort de son père que Dider Eribon décide de se rendre à Reims, sa ville natale, pour se confronter à son milieu d’origine et retrouver sa mère qu’il n’a plus vue depuis trente ans. Le retour sur les lieux de son enfance et les discussions avec sa mère le conduisent à un constat nouveau : la rupture d’avec sa famille découlait autant de l’homophobie paternelle que de son propre rejet du monde ouvrier et de son besoin de le fuir. Le sociologue qui a surtout écrit à propos de l’ordre sexuel – de l’assujettissement et du sentiment de honte qu’il génère – est obligé de reconnaître qu’il a soigneusement évité cet autre terrain de la honte que fut pour lui l’appartenance à la classe ouvrière. Eribon s’engage donc dans une recherche à propos de sa famille et de son parcours de « transfuge de classe ». Portée par un souffle littéraire, son enquête souligne l’importance dissimulée mais décisive des classes sociales dans une société qui tend à être accaparée par des déterminismes culturels, ethniques et sexuels.
Dans son roman Acharnement, Mathieu Larnaudie dresse le portrait de Müller, ancienne plume, qui après la chute de son ministre s’est retiré dans sa maison de campagne, où il travaille à la rédaction du discours parfait. Son calme est brisé le jour où, lors d’une promenade dans son jardin, il découvre au pied du viaduc limitrophe le corps écrasé d’un suicidé. D’autres suivent, ponctuant un scénario grotesque… Mais s’agit-il vraiment de suicides ? En évoquant le passé professionnel de Müller, l’auteur dessine en filigrane une satire du monde politique. Au fil des phrases, il fait ainsi pénétrer le lecteur dans l’univers involontairement comique de son protagoniste, dont l’habileté rhétorique est désormais en complet décalage avec sa vie d’ermite et lui donne des accents à la fois absurdes et tragiques.
L’Année des volcans dépeint l’histoire d’amour qui se noue entre Roberto Rossellini et Ingrid Bergman sur le tournage de leur premier film commun, Stromboli. Au même moment, sur l’île voisine, on tourne Vulcano dont l’actrice principale n’est autre qu’Anna Magnani, l’ex-amante de Rossellini.
Dans ce roman biographique, Lorrain porte un regard chargé d’empathie mais non dénué d’ironie sur les coulisses de l’industrie cinématographique.
Deux errances sont au centre de ce roman de Claro : celle de Lucy Diamond, ex-junkie, fée du protest de l’été 67 à San Francisco, et désormais gérante du premier sex-shop de Paris, et Antoine, jeune mitron de Pont Saint-Esprit, qui, en 1951, sortit la première fournée de « pain maudit » qui empoisonna la moitié de la population de la ville. Derrière eux, dans l’ombre, flotte la figure de Wen Kroy, agent méphistophélique au service de la CIA dont la mission consiste à explorer les capacités manipulatoires du LSD. La drogue est ici fil conducteur, code et principe d’écriture. Claro entraîne le lecteur dans un bad trip sans issue, à la fois éblouissant par la virtuosité de ses images et dérangeant dans sa description impitoyable de la face cachée de la Guerre Froide.
Vers le français :
Kiepenheuer & Witsch, 2013.
L’hypothèse de départ de Der Komet (« La météorite ») est simple : l’attentat contre le prince héritier François-Ferdinand à Sarajevo en 1914 a échoué. Conséquences : le vingtième siècle européen n’a pas vécu les horreurs de la guerre, les Empires allemand et austro-hongrois ont conservé leur hégémonie, Vienne est et reste le centre du monde. En retraçant cette vision alternative de l’Histoire, Hannes Stein nous invite à une réflexion sur le hasard et ses effets, questionnant avec un humour subtil les frontières entre fiction et réalité. Il plonge le lecteur dans une Vienne moderne aux accents archaïques, où il n’est pas rare de croiser dans un Café un grand-rabbin en profonde discussion philosophique avec un cardinal et un psychanalyste freudien, ni de s’embarquer un beau matin, si l’on est astronome à la cour impériale, dans une navette pour la Lune. Dans une société qui n’a connu depuis plus d’un siècle que paix et prospérité, l’auteur met en scène une galerie de personnages tous plus truculents les uns que les autres dont les histoires parallèles se croisent, s’effleurent ou se rencontrent, chacun vivant à sa manière les derniers mois qu’il reste à l’humanité…
Une petite fille qui a peur de la mort et une autre qui n’a peur de rien, une femme terrorisée par le lait et une autre par son propriétaire, une mère qui redoute sa fille et un homme angoissé par la perte de son travail… Dans Lexikon der Angst, Annette Pehnt rassemble sous la forme d’un dictionnaire quarante-six histoires courtes sur le thème de la peur. Peurs issues du quotidien, peurs maladives, absurdes, obsessionnelles… Chacun se retrouve dans ces textes tragiques ou drôles, émouvants ou violents, et au ton simple et poétique.
Les onze histoires qui composent Flamingos sont autant de contes mêlant l’ordinaire et le fantastique, où il n’est pas rare de croiser un garçon hanté par son jumeau invisible ou une vieille femme à qui pousse un troisième œil sur le front. Ce sont également onze épisodes d’un roman d’aventure, celle de tous les jours, d’un enfant solitaire, de l’absence d’une mère ou du départ irrévocable de l’ami de toujours. Ce sont enfin onze énigmes qui multiplient les niveaux de lecture, incorporent des motifs bibliques et permettent à l’improbable de devenir plausible et au banal de côtoyer l’étrange. L’écriture de Sandig n’est en rien tapageuse, elle s’impose pourtant au lecteur par la clarté de son ton, l’intensité de ses frappes.
Dans son deuxième roman, Moor (Marais), Gunther Geltinger donne à entendre une voix singulière : celle du marais. Le marais s’adresse à Dion, un garçon de treize ans vivant avec sa mère en bordure d’un village, dont le lecteur suit une année de vie, quatre saisons au cours desquelles l’enfant prend conscience de son rapport aux autres, à sa mère, à la nature et au langage. Dion est bègue et c’est dans la rencontre entre sa parole chaotique et les voix du marais et de la nature que jaillit l’écriture du roman. Cette langue extrêmement poétique reconstruit strate par strate toutes les couches temporelles qui composent la vie de Dion, ses souvenirs, ses rêves, ses fantasmes. Ce roman de formation non conventionnel capte, conserve puis restitue les phénomènes, comme le font la tourbe et le marais, sans jamais émettre de jugement. Moor s’inscrit dans la tradition romantique allemande par la précision scientifique des descriptions du paysage et par le processus d’éducation “par la nature” vécu par Dion, une nature à la fois conservatrice et fertile.
Schilten, Rapport d’établissement scolaire à l’attention de la Conférence des Inspecteurs, tel est le titre si réjouissant du premier roman, paru en 1976, de l’écrivain suisse-allemand Hermann Burger (1942-1989). Dans le village argovien de Schilten, le maître d’école Armin Schildknecht attend la visite de l’Inspecteur scolaire depuis de trop nombreuses années. Il décide de rédiger lui-même le rapport auquel la visite auraît dû donner lieu. Maniant la plume avec une époustouflante virtuosité bureaucratique et un humour féroce, Schildknecht compose une somme qui, avec la vallée de Schilten pour toile de fond, raconte une école altérée par la présence toute proche du cimetière et hantée par des élèves qui l’ont désertée. En 2014, l’oeuvre de Burger a fait l’objet d’une réédition complète chez Nagel & Kimche.