Le poème gentileza a été composé et traduit par les participant.es de l’atelier ViceVersa espagnol-français, qui s’est déroulé en résidence au CITL du 17 au 22 octobre 2022.
Dix traductrices et traducteurs (Mateo Pierre Avit Ferrero, Maïra Muchnik, Silvia Moreno, Marta Santamaría, Guillaume Contré, Louise Ibáñez-Drillières, Melina Balcázar, Hélène H. Melo, Ámbar Michel de la Selva et Isabelle Dessommes) ont participé à cet atelier, coordonné par Laura Alcoba et Pablo Martín Sánchez.
Le groupe a souhaité partager ce poème et son histoire sur le blog d’ATLAS, et revenir sur les six jours d’atelier ; un grand merci à eux pour ce précieux retour d’expérience en poésie.
Bonne lecture !
de romper a hervir
la lengua ensortijada en el fémur lacio
cortejo de peces
cuyas bocas frescas
recuerdan los alburentes de las buhardas
el zaro zozobra.
viento enrabietado
y el cuervo negro picando pita vieja
sucumbo a los plúteos,
los apoyapicas.
la gachí que dijo —me cago en mis castas
de se mettre à frémir
la langue bouclée sur le fémur poli
poissons en cortège
dont les bouches fraîches
rappellent les planches molles des toitures
le zaro détresse.
le vent furax et
le corbeau noir grignotant le vieux chanvre
je m’adonne aux rayons,
les arrêts de pique.
la meuf qui dit – je conchie mes aïeux
* * *
“Le poème gentileza compile, à la manière de centons[1], quelques difficultés de traduction rencontrées dans les textes travaillés au cours de l’atelier ViceVersa espagnol-français, qui s’est déroulé au CITL d’Arles, du 17 au 22 octobre 2022. Dix traductrices et traducteurs (Mateo Pierre Avit Ferrero, Maïra Muchnik, Silvia Moreno, Marta Santamaría, Guillaume Contré, Louise Ibáñez-Drillières, Melina Balcázar, Hélène H. Melo, Ámbar Michel de la Selva et Isabelle Dessommes) ont participé à cet atelier coordonné par Laura Alcoba et Pablo Martín Sánchez. Ils ont travaillé sur dix textes aux styles et genres très différents (roman, récit, essai, poésie, théâtre et non-fiction).
Sur le plan formel, le poème gentileza se compose de tercets de 6-6-12 syllabes, en accord avec la stratégie de traduction adoptée pour le recueil Geste, de Michelle Grangaud (un texte proposé par Marta Santamaría). Dans la traduction collective du poème gentileza, la forme originale de Geste a été respectée, à savoir des tercets de 5-5-11 syllabes.
Petit clin d’œil oulipien, deux restrictions supplémentaires ont été ajoutées :
– l’apparition dans le poème d’au moins une difficulté de traduction de chacun des dix textes travaillés au cours de l’atelier ViceVersa ;
– la composition de 12 vers au total, de sorte que chaque vers représente l’un des participants de l’atelier.
Pour celles et ceux qui voudraient en savoir plus, nous vous présentons ici en détail la façon dont le poème a été conçu à partir de tous les textes travaillés dans le cadre de l’atelier ViceVersa.
Le titre du poème, gentileza, ainsi que sa ponctuation, proviennent du roman El afinador de habitaciones, de Celso Castro (texte proposé par Isabelle Dessommes).
Les vers 1 et 2 (« ni siquiera acaba / de romper a hervir ») sont la traduction proposée du vers « n’en finit pas de commencer à frémir » en Geste, de Michelle Grangaud, qu’il nous a fallu ici reformuler du fait du changement de position de la phrase dans le verset.
« La lengua ensortijada » et « el fémur lacio » (vers 3) viennent respectivement de Presencia, de Carlos Reygadas et de El rastro en los huesos, de Leila Guerrero (textes proposés par Louise Ibáñez-Drillières et Maïra Muchnik).
Dans le deuxième tercet, « cortejo de peces » (vers 4) est la proposition de traduction des « poissons qui te faisaient cortège » dans La Reine des poissons, de Gérard de Nerval (texte proposé par Mateo Pierre Avit Ferrero), que nous avons raccourci dans la traduction du poème gentileza. « Bocas frescas » (vers 5) et « los alburentes de las buhardas » (vers 6) appartiennent respectivement à El rastro en los huesos, de Leila Guerrero et Prodigios, de Angélica Gorodischer (texte proposé par Guillaume Contré).
Concernant le troisième tercet, « zaro » (vers 7) apparaît dans Prodigios, de Angélica Gorodischer, sans que quiconque ait pu en trouver la signification. « Zozobra » (vers 7) est la proposition de traduction de « détresse » dans Le Grand jeu, de Céline Minard (texte de Silvia Moreno). Au vers 8, « viento enrabietado » est la proposition de traduction de « vent furax » en Terre rouge, d’Aristide Tarnagda (texte proposé par Ámbar Michel de la Selva). Enfin, « el cuervo negro picando pita vieja » (vers 9) provint de Malaventura, de Fernando Navarro (texte proposé Hélène H. Melo).
Dans le dernier tercet, « sucumbo » (vers 10) est la proposition de traduction de « je m’y adonne » dans Une chose sérieuse, de Gaëlle Obiégly (texte proposé par Melina Balcázar). « Plúteos » (vers 10) n’apparaît dans aucun des textes travaillés. Il s’agit d’un mot qui nous était inconnu jusqu’à ce que Pablo Martín Sánchez nous illumine de son savoir. Il nous a tellement plu que nous lui avons fait une place dans le poème. « Apoyapicas » (vers 11) est la proposition de traduction d’« arrêt de pique » dans Le Grand jeu, de Céline Minard. Au dernier vers, « gachí » et « me cago en mis castas » viennent à nouveau de Malaventura, de Fernando Navarro.
Nous voici arrivés à la fin. ViceVersa fut une expérience fort riche, très difficile à résumer en un seul poème. La semaine a été marquée par beaucoup de travail, des échanges fructueux, de la culture, une très bonne ambiance et bien plus encore. L’équipe d’ATLAS nous a donné l’agréable sensation d’appartenir à une grande famille. Au fond, le titre du poème est sans doute un bon résumé de ViceVersa : gentileza.”
Mateo Pierre Avit Ferrero, Maïra Muchnik, Silvia Moreno, Marta Santamaría, Guillaume Contré, Louise Ibáñez-Drillières, Melina Balcázar, Hélène H. Melo, Ámbar Michel de la Selva et Isabelle Dessommes
[1] Pièce de vers ou de prose composée de passages empruntés à un ou à plusieurs auteurs.
Pour aller plus loin…
- Ateliers ViceVersa
Les ateliers ViceVersa proposent aux traductrices et traducteurs professionnel•les d’acquérir de nouvelles directions de travail sur une traduction en cours et d’enrichir leur pratique grâce à une expérience collégiale, en résidence au CITL.
- Passage de l’étranger #52 : Pablo Martín Sánchez & Jean-Marie Saint-Lu
Le 20 octobre 2022, ATLAS recevait Pablo Martín Sánchez, alors tuteur de l’atelier ViceVersa espagnol-français, et son traducteur Jean-Marie Saint-Lu, dans le cadre du cycle de rencontres Passage de l’étranger, autour du roman L’anarchiste qui s’appelait comme moi (Zulma & La Contre Allée, 2021) et de sa traduction vers le français.
Les photos et la captation sonore de cette rencontre, animée par Lydie Mushamalirwa, sont en ligne :